Un tramway nommé vampire

Publié le par Mathieu

Je suis un fantôme. Personne ne me voit, personne ne me distingue. Juste une illusion de présence au milieu des gens. 19.01. Je suis sur le quai de la gare Issy Val de Seine. Le quartier des affaires de mon royaume. Aaahhh il y en a du businessman qui se trémousse autour de moi. Il est speed, il est pressé. La faute à la RATP probablement, il n'y a jamais assez de trains, et ils sont trop lents, trop chargés, trop en retards, trop tout et rien de rien, pas assez de peu et bien moins que pas grand chose. La RATP le mot de tous les maux, le principal intérêt des débats de comptoir, la principale conversation du beauf parisien qui balance une phrase, puis l'autre, de manière à ne pas avoir de réponse de son interlocuteur qui ne sait pas quoi dire devant tant de finesse dans l'insulte. Voilà pour l'archétype, l'opinion massive, l'ambiance présentement en cette fin de journée.


Mon trajet : Ici/là-bas. Ou Issy/Bibliothèque François Mitterrand. Quel grand homme que celui à qui l'on donne le nom d'un bâtiment où la culture est présente, et l'intellect mis à rude épreuve. L'autre bout de la ville. Je cherche un raccourci, un subterfuge, pour m'éviter une heure de train. Je vais prendre mon mal en patience. Mon train est à 19h10. Il est 19h08. Plus que deux minutes ; Deux minutes indéfinissables, perdu au milieu de cette foule grouillante, de cette microsociété encastrée dans 20m². Ca clignote "A l'approche". Je souris mais pas trop. Tout le monde s'affole autour de moi, pour qui aura la meilleure place assise.


Changement de plan, un coup de tête, j'opte pour le tram, le tramway pour être précis.
19h20. Je vais être à la bourre. Mais un coup de tête c'est un coup de tête. Demandez à Materrazzi.
Le tram', c'est moderne. Ca ne fait pas de bruit, c'est fluide comme le vent, et tout est automatique sauf le conducteur, humain. De différentes couleurs, jamais chatoyantes, le tram vous cause, pour nous dire où l'on est et où l'on va. Un vert pomme, grisonnant qui plus est quand il pleut, ce n’est pas la panacée. On fait avec.


Dans le tram', il y a moins de monde que dans le RER. Ou alors ça dépend des horaires, des arrêts, des gens. En face de moi, une femme s'assoit. Sac Prada, propre sur elle, pas surfaite. Sauf au niveau sac à main. Son Prada se bat avec son Harrot's. Elle ne porte pas la thune sur elle, mais je la vois entrer dans le magasin, flairer l'occas' parfaite, la dernière trouvaille, le cliché ultime du bon gout bourgeois, la couleur géniale qui se marrie avec toutes ces fringues de chez Maxim's.


Un arrêt. PAM !!! Un groupe de veste noire entre dans la rame. Les businessmen sont de retour au bercail. Ils ont réussi !!! 19h25. Au bureau depuis 9h00 ce matin, il faut en vouloir. L'accessoire principal du passager parisien des transports en commun : Le journal gratuit. Ca lui donne l'impression de s'intéresser à l'actualité tout en lui confirmant sa volonté de ne pas dépenser deux euro dans un journal payant ; Deux euro qu'il ne donnera pas non plus au SDF joueur d'accordéon.
Un groupe s'en va, un autre arrive. La femme toujours en face de moi appelle son mari pour lui dire qu'elle sort du bureau. De l'autre coté de la rame, des gens débattent sur la vie politique et sociale. Une dame plutôt enveloppée qui a un Closer sur les genoux. Un grand père et sa femme son assis en face de notre lectrice préférée. A coté d'elle, un enfant a le regard médusé de cette scène banale. Le débat est lancé, la droite et la gauche, c'est bonnet blanc et blanc bonnet, tous des pourris surtout celui pour lequel on a voté. Mais bon il fallait qu'on vote pour quelqu'un sinon Le Pen allait revenir au second tour. Oui mais maintenant c'est nul, le pouvoir d'achat n'augmente pas, y'a des pauvres, et il pleut. La prochaine fois, c'est décidé, je fais une grève de la faim. Ou non... j'irai au resto, ça me défoulera. J'extérioriserai ma frustration hebdomadaire sur le serveur du week-end qui n'a rien demandé, mais bon c'est sa faute il n'avait qu'à travailler ailleurs.


Y'a des moments, je n'aime pas les gens. Voyez cette vieille peau là, qui bouscule tout le monde sans gêne, qui commence à s'avancer vers la porte en bousculant tout le monde sur son passage alors qu'elle ne sort que dans 5 minutes. Ben je ne l'aime pas. Ecoutez ce gamin qui piaille pour un bout de pain que sa mère lui donnera parce que le King à la maison, c'est lui. Ben je ne peux pas non plus.
De temps à autre par contre je les aime. Ce petit jeune qui laisse sa place à une femme aveugle, je l'aime. Et le joueur de musique me fait taper du pied. Je le remercierai d'une pièce qu'il me demande. Ca ne me coute pas grand chose et je lui rends beaucoup plus que ce qu'il demande.


Plus que cinq arrêts. Un papy se gratte, un jeune le regarde. Le cadre téléphone et prévoit son week end : Bouffe, teuf, soif, foot. Quatre mots dignes d'intérêt pour les deux jours qui s'annoncent pour qui travaille 45 à 50h semaine. Le repos, le lâchage, le pétage de plombs.
Tiens un petit vieux me porte intérêt. Mais je suis mort. Alors je l'emmène dans mon monde, et joue au jeu de la conversation. Je lui enlève les chaînes de la morosité pour un sourire, une situation, un instant. Le voilà qui me parle, me précise ma situation. Je continue d'écrire.
- C'est pour les cours ou vous emmenez du travail à la maison ?
- C'est autre chose. Un texte, une humeur, un moment de vie.


Visiblement l'autochtone veut communiquer. Soit. Je ferme mon cahier, je rentre mes garailles, et je lui réponds. Les gens ne se parlent plus car on ne leur adresse plus la parole. Mon voisin voulait tchatcher, je lui ai répondu. En toute amitié, le temps d'un voyage, et je me dissipe. Une poussière dans la contrée citadine, au milieu du flot inhumain d'une population animale. Et puis je disparais.

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